lundi 14 juillet 2008

Article La Manche Libre - THT : ces arrêtés que redoute RTE

Pour imposer l’application du principe de précaution face aux effets de la THT, un collectif de maires utilise l’arme de l’arrêté.

En ce début de saison estivale, le projet de ligne aérienne à très haute tension (THT) « Cotentin-Maine » lié à l’EPR de Flamanville se met lui aussi en vacances. Mais l’attention qu’on lui porte ne se relâche ni du côté du maître d’ouvrage, RTE, filiale d’EDF, ni du côté de ses adversaires résolus, qu’il s’agisse d’associations locales ou d’élus.

C’est qu’à partir de septembre prochain s’ouvrira une étape importante de ce projet, l’enquête publique sur le tracé de la ligne, préalable obligé à la déclaration d’utilité publique. Dans cette perspective, les parlementaires concernés ne semblent pas pour l’instant être en mesure de peser vraiment en faveur de cette solution.

Une arme efficace

Député-maire (UMP) d’Avranches, Guénhaël Huet, sans conteste le plus actif d’entre eux, a enregistré avec dépit la défection de Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’Ecologie, qui avait pourtant affirmé publiquement, lors de son passage dans la Manche les 8 et 9 mai derniers, qu’elle reviendrait fin juin dans le sud du département pour évoquer la ligne THT. En revanche, les élus membres du collectif interdépartemental des maires contre la THT, dont le coordonnateur est Jean-Claude Bossard, maire du Chefresne, ont su se forger une arme efficace face à RTE. Il s’agit de l’arrêté, pris jusqu’à présent par vingt d’entre eux, interdisant le passage de la ligne THT sur le territoire de leurs communes à moins de 500 mètres d’une maison d’habitation ou d’un bâtiment d’élevage.

Intimidation

Argument avancé : le devoir d’un maire est de prendre en compte la santé de ses administrés, par référence à la Charte de l’environnement pour qui tout un chacun a le droit de vivre dans un milieu respectueux de sa santé.

Face à cela, les sous-préfets des arrondissements concernés ont sommé les maires de retirer leurs arrêtés (ce qu’aucun n’a fait), au nom de leur absence de compétence pour agir ainsi, tandis que RTE déposait des recours, avec demande d’indemnité financière à la clé, devant le tribunal administratif de Caen. Pour Jean-Claude Bossard et le collectif, ce sont là des manœuvres d’intimidation car les maires sont effectivement compétents pour prendre ce genre d’arrêtés et RTE, lui, ne le serait pas pour contester les arrêtés devant le tribunal administratif. D’ailleurs, la filiale d’EDF ne s’en est prise qu’à six arrêtés sur les vingt, et préfère préciser dans un courrier adressé aux maires des autres communes que la ligne THT aérienne ne présente pas de danger pour la santé. D’où l’injonction du collectif à ses membres de ne pas retirer leurs arrêtés – qui restent valables aux yeux de la loi – mais au contraire de continuer à en prendre tant qu’un jugement ne sera pas intervenu. Ce qui peut prendre au moins un un an… et freiner le projet pendant ce temps. De fait, le collectif estime que « si un maire prend un arrêté, RTE n’est pas gêné, si trente maires prennent un arrêté, RTE est bloqué. » Et d’ajouter : « En tout état de cause, les arrêtés ne seront pas retirés tant que nous n’aurons pas de garanties absolues quant à l’absence totale d’effets sur la santé des lignes THT.

Par ailleurs, si RTE veut rencontrer une municipalité, nous mettons comme conditions que la réunion soit publique et que les recours contre les arrêtés des six communes soient retirés. » Mais aujourd’hui, les maires anti-THT attendent les résultats - prévus pour septembre - de l’enquête du Criirem (Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques) auprès des riverains de l’actuelle ligne THT ainsi que ceux de l’étude de l’INSERM sur le même sujet.

Alors, plutôt que de faire prendre délibérément des risques inconnus à ceux qui seront les riverains de la ligne THT, tout en massacrant les paysages de notre région, pourquoi ne pas se rallier d’emblée à l’enfouissement, solution d’avenir qui évite ces graves inconvénients ?

REPERES

Nathalie Kosciusko-Morizet
Comme Guénhaël Huet, le collectif des maires opposés à la THT souhaitait rencontrer Nathalie Kosciusko-Morizet afin de lui demander d’agir en faveur d’un moratoire sur la THT et qu’un débat parlementaire sur les champs électromagnétiques se mette en place. Il devra attendre.

Au ministère
En attendant que la ministre revienne dans la Manche, Guénhaël Huet et les parlementaires (UMP) manchois devraient la rencontrer à son ministère courant juillet. Le député-maire d’Avranches verra aussi Philippe Dumarquez, directeur régional de RTE.

Boycott
Pour attirer l’attention sur la THT, le collectif des maires envisage un boycott de l’enquête publique de septembre, car cela mettrait « le préfet dans l’embarras » en l’obligeant à réquisitionner des salles et à poser des bureaux mobiles.

Fabrice Constensoux

La Manche libre, le 12/07/2008

jeudi 10 juillet 2008

Le Monde du 9 juillet 2008 investit Chèvreville

Chèvreville et la mobilisation anti THT dans Le Monde. Gaëlle Dupont, journaliste et spécialiste des questions environnementales au journal Le Monde, s'est déplacée à Chèvreville pour rencontrer élus et membres de l'Association opposés au tracé THT.

La publicité de la banque verte "Investissons l'avenir" qui accompagne l'article tombe à pic. N'est-ce-pas plutôt le krack qui se dessine pour certaines communes traversées par la THT ?

Un clic sur l'article ici :



La mobilisation locale redouble contre la ligne électrique à très haute tension Cotentin-Maine
8 juillet 2008

CHÈVREVILLE (MANCHE) ENVOYÉE SPÉCIALE

Dans le jargon de RTE, le transporteur national d’électricité, Chèvreville est ce que l’on appelle un « point dur ». Les deux cents habitants de ce village tranquille sont entrés en rébellion contre le tracé de la ligne à très haute tension (THT) Cotentin-Maine, qui doit relier le réacteur nucléaire de troisième génération EPR (réacteur pressurisé européen), situé à Flamanville, au réseau électrique national. L’entrée en service est prévue fin 2011. Selon RTE (Réseau de transport d’électricité), cette ligne de 150 km permettra de sécuriser l’approvisionnement de l’ouest de la France.

A Chèvreville, tous voient déjà la « balafre ». La ligne débouchera en haut d’une colline, coupera à travers champs, passera entre la route, la rivière et les maisons, s’approchera à 400 mètres de l’école maternelle. Six pylônes, hauts de 45 à 65 mètres, peupleront bientôt le village. « Nous sommes touchés dans notre chair », résume Hervé Gaté, porte-parole de l’association THT Touche pas à Chèvreville. La taxe au pylône promise (3 600 euros par an) n’y change rien.

Les habitants remuent ciel et terre. Ils ont boycotté, à l’unanimité, les dernières élections municipales. Depuis un nouveau maire a été élu, il continue le combat. Dans les quatre départements touchés (Ille-et-Vilaine, Mayenne, Calvados, Manche), sur les 74 maires concernés, une vingtaine ont pris des arrêtés « anti-THT », demandant un passage de la ligne à 500 mètres des habitations. « Pas question de rejeter la ligne chez nos voisins, précise Gilbert Daniel, le maire de Chèvreville. D’accord pour qu’elle passe chez nous, mais pas dans n’importe quelles conditions. »

Il est bien fini le temps où l’arrivée des pylônes, synonyme de raccordement au réseau électrique, était fêtée dans les campagnes. La révolte d’une partie des élus de la Manche est la preuve d’un changement d’époque. « Nous sommes habituellement une région conservatrice, silencieuse, où l’on accepte tout », affirme M. Gaté. La Manche doit en outre beaucoup de son développement économique au nucléaire. Elle accueille déjà deux réacteurs, auxquels viendra s’ajouter l’EPR, à Flamanville, ainsi qu’un centre de retraitement et un site de stockage souterrain, à la Hague.

Seul le collectif Manche sous tension remet en cause cette vocation. « L’EPR a uniquement une vocation commerciale, affirme Guillaume Anfray, son coprésident. On veut spécialiser la France dans la production d’électricité nucléaire, et on garde les déchets. » Les autres associations et la plupart des élus évitent ce terrain, et focalisent leur combat sur les conditions du passage de la ligne THT, soit par adhésion à l’énergie nucléaire, soit par pragmatisme.

L’impact de la ligne de 400 000 volts sur le paysage est redouté, ainsi que ses conséquences en cascade : dévaluation immobilière, baisse de l’attractivité touristique. Des témoignages d’éleveurs font état de maladies dans leurs troupeaux. De possibles effets des champs électromagnétiques sur la santé humaine inquiètent. Une étude épidémiologique portant sur 29 000 cas de cancers infantiles, publiée en 2005 au Royaume-Uni, a montré une association entre la leucémie infantile et la proximité de résidence à la naissance des lignes à haute tension. L’étude n’a pas conclu à un lien de cause à effet, en l’absence de mécanisme biologique connu.

En France, le dernier rapport d’experts sur le sujet, daté de novembre 2004, est très rassurant. Il conclut que l’ensemble des données disponibles est en faveur de « l’absence d’effets sanitaires » chez l’homme. Mais les riverains demandent l’application du principe de précaution. Une solution, en particulier, est plébiscitée : l’enfouissement.

Elle a été retenue, fin avril, pour l’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne, afin de préserver les paysages des Pyrénées. Galvanisés, les Normands réclament « l’égalité de traitement ». L’association Respecter le bocage réfute l’argument du surcoût. Elle rappelle la facture de la tempête de 1999 pour EDF : 5,3 milliards d’euros, « qui auraient été économisés si les lignes avaient été enfouies ». Elle prend aussi appui sur les travaux du député (UMP, Bouches-du-Rhône) Christian Kert, qui prône dans un rapport parlementaire le lancement d’une politique volontariste d’enfouissement, pour baisser les coûts.

RTE rejette l’enfouissement total pour des raisons techniques et de coût. Evalué à 200 millions d’euros en aérien, il serait multiplié par 6. « L’enfouissement partiel est envisageable, mais comment identifier les zones ?, interroge Jean-Marc Perrin, le directeur du projet. Tout le monde pourra dire : »Pourquoi eux et pas nous ?« » Selon lui, le tracé choisi, étudié et discuté au cours d’un millier de réunions, est « celui qui répond le mieux possible à l’intérêt général ».

« Nous sommes réalistes, nous ne demandons pas l’enfouissement total, mais seulement dans les endroits où la ligne est la plus gênante, affirme le député Guénaël Huet (UMP, Manche). Mais on ne peut pas discuter avec RTE : ils viennent deux fois en hélicoptère et croient connaître le pays mieux que nous. » Selon son collègue Yannick Favennec (UMP, Mayenne), le ministre de l’écologie Jean-Louis Borloo s’est récemment engagé auprès de lui à ce qu’il n’y ait « aucune discrimination » entre l’Ouest et les Pyrénées.

* Article paru dans le Monde, édition du 09.07.08. LE MONDE | 08.07.08 | 15h40 • Mis à jour le 08.07.08 | 17h32.